Si le monde n'était pas fou, aurions-nous, auteurs, autant de plaisir à le recréer avec nos mots ?
Biographie
Marie FONTAINE
Mes Livres
Terra Divina Saison 2 L'intégrale
Il y a le ciel, le soleil et Lemaire
Lisandru et Catarina Caitucoli, époux nonagénaires à tendance increvables, règnent sur leur clan ainsi que sur leur...
En savoir +PENTATRACKS
Que peuvent bien avoir en commun une star du rock vieillissante et fatiguée, deux gamins de banlieue à l’avenir pour...
En savoir +Terra Divina Saison 1 L'intégrale
La Cerisaie... mais pas celle de Tchekov
Lisandru et Catarina Caitucoli, époux nonagénaires à tendance increvables, règnent sur leur clan ainsi que sur leur...
En savoir +Antho-noire
... pour Nuit de Noël
La magie de Noël... le sapin, les guirlandes, les cadeaux, les vitrines décorées et les enfants tout excités à l'idée...
En savoir +GEMINI
Dans un pays contemporain, ni tout à fait la France, ni tout à fait un autre, où les lieux nous semblent familiers sans...
En savoir +Je suis venue vous e-dire
À travers une galerie de personnages attachants, c'est à un émouvant voyage dans les différents âges de la vie que vous...
En savoir +Derniers tweets
Derniers tweets
RT @HouseRevue: « Ah, ça y est ! Môssieu se réveille. Pas trop tôt. Pas que ça à faire, moi, jouer les nounous d’un connard de compétition……
Faites comme moi : partagez la MAGIE de Noël avec Good-4you https://t.co/kGf6hH7TpQ
Revue de presse
Je suis venue vous e-dire... Chronique
Dans mon coin, le blog de Dominique - 24/05/2015
Gouttes de Fontaine # 1
Au fond du lac
Depuis la veille, la terre se tassait sous des paquets de nuages noirs, distendus à crever. Une vague de grisaille s’était brusquement abattue sur le bourg fortifié de Castellac. À l’extérieur de ses hautes murailles, bousculées par de violentes bourrasques, les eaux du lac s’éparpillaient aux nues en myriades d’éclats éteints. Les dernières feuilles des arbres avaient noirci d’un coup et ne luttaient plus contre la bise. Arrachées aux branches, elles tournoyaient en spirales folles et se collaient avec force aux visages des passants qui croisaient leur débâcle. Les oiseaux se taisaient, mélancoliques, les hommes et les femmes aussi. La pierre des maisons et des édifices de la cité avait troqué son ocre habituel contre un gris lugubre. Tout portait le deuil d’une jeunesse de plus emportée par une mort trop précoce ; en ce jour funeste, on accompagnait la dépouille de Jehanne Bréhaut « la blonde » jusqu’à sa dernière demeure.
Elle gisait à l’air libre, pâle et rigide, allongée sur une couche de satin rouge sang. Huit hommes portaient la civière mortuaire, quatre par quatre, chacun un brancard sur l’épaule. Un tambour placé en tête du cortège scandait le rythme lent de leur pas. Coincées dans les mains jointes de la défunte, dodelinaient mollement les corolles d’une brassée de roses blanches ; bouquet offert pour ses noces qui n’auraient jamais lieu. En fin de compte, il se dessécherait avec elle dans l’ombre d’un caveau. La foule s’écartait au fur et à mesure de la progression du catafalque mobile. Derrière la procession flottaient les voiles noirs des femmes de la noblesse. Elles les avaient agrafés à leurs coiffes richement ornées pour entièrement masquer leurs visages. Les hommes fermaient la marche, resserrés autour de leur suzerain. Un silence respectueux pétrifiait les badauds, mêlé d’un profond sentiment de compassion ; mourir si jeune, quel gâchis, même si personne n’enviait le sort que Jehanne eût connu, si elle avait vécu…
Elle était la septième jeune fille promise par tirage au sort au duc Amaury de Castellac. La septième morte, également. Nulle ne pouvait se soustraire à la loi, pour injuste qu’elle fût ; celle dont le nom, écrit sur un morceau de parchemin, sortait de la coupe du hasard, pioché par la main innocente d’un enfant, devait épouser son seigneur. À défaut de rêve, devenir duchesse tenait de l’ambition pour la plupart des jouvencelles en âge de convoler. Avec le duc, cette perspective se muait en cauchemar ; vieux et contrefait, la chair fétide et verdâtre, comme s’il se décomposait vivant, il repoussait les prétendantes à son titre contre leur gré. Toutes, préféraient la mort à sa carne putride frottée à la fleur de leur jeunesse. Le bourg ne comptait plus les parents plongés dans une affliction inconsolable.
La veille, Jehanne avait retardé au maximum l’instant fatal, attendu le dernier moment pour quitter la maison familiale, au début de l’après-midi. Comme elle allait regretter la tiédeur de son premier foyer ! Les heures tranquilles à travailler dans la partie qui servait d’atelier à son père, maître tisserand de son état, lui manquaient déjà. Indifférente à tout, elle s’était abandonnée aux mains habiles de ses servantes. La gentillesse dont elles firent preuve, émues par la fatalité de son destin, glissa sur elle sans même la toucher, tout comme la douceur d’une longue cotte de soie blanche, importée de Venise spécialement pour elle. La splendeur du velours bleu azur de son surcot de mariée, brodé d’or et enluminé de pierres précieuses, à faire pâlir de jalousie la lune et le soleil réunis, la laissa également de marbre. Avec des gestes de pantin, elle prit enfin le bouquet que lui tendait le duc et le suivit en traînant le pas jusqu’à la chapelle privée de son château. Là, une foule chamarrée les attendait. Un brouhaha d’admiration s’éleva à la vue de la future duchesse ; l’expression d’accablement affichée sur sa figure n’altérait en aucun point sa beauté, la magnifiait au contraire.
Jehanne s’avança jusqu’à l’autel au bras du duc, leva les yeux vers la croix derrière le prêtre, et s’écroula. Un mouvement d’affolement parcourut l’assistance, un attroupement se forma aussitôt autour de son corps inanimé. Le vieil Amaury, penché sur elle, lui tâta les joues, le front, puis, pressant deux doigts sur son cou, constata que son pouls ne battait plus. Il se releva et lança une salve de jurons à l’attention de Dieu et de tous ses saints. Le curé se signa, horrifié par les abominations infligées à ses chastes oreilles. Le duc pestait encore alors qu’il quittait la chapelle pour regagner ses appartements. Sept tentatives. Sept échecs. Ce n’était pas encore cette nuit qu’il pourrait assurer une descendance à sa lignée.
(À suivre...)
© Marie Fontaine 2015